samedi 18 juillet 2015

LA NEGRITUDE

LA NEGRITUDE
VERSION FRANCOPHONE DU PANAFRICANISME ?
SYSTEME D'AUTODEFENSE ?

On se souvient qu'au départ, le Panafricanisme venu du monde anglo-saxon n'a pas pu séduire le monde africain francophone qui, au lieu de le promouvoir a, au contraire, tout fait pour le réduire. Cependant, force est de constater que le monde africain francophone a, lui aussi connu un mouvement, qui, à vue d’œil, s'apparente au Panafricanisme :
il s'agit du mouvement de la Négritude.

Avec le temps qui s'est écoulé depuis l'apparition de ces deux mouvements (Panafricanisme et Négritude), chacun réalise qu'ils ont en commun de n'être pas allés plus loin, au-delà, de leur phase théorique. Et, si antérieurement, nous avons vu les obstacles à la concrétisation du projet panafricain, on pourrait se demander de ce qu'il en est de la Négritude.
Mais, avant d'en arriver là, il est à remarquer que dans l'analyse des projets respectifs des deux mouvements, dans certains cas, quelques caractéristiques apparaissent qui les font s'imbriquer, lorsque dans d'autres cas, d'autres caractéristiques surgissent pour véritablement les disloquer.
De ce qui précède, il résulte que, de prime abord, l'on constate que des deux mouvements, celui de la Négritude reste constamment sur la défensive (I), alors que le mouvement du Panafricanisme est, dès sa conception, sur l'offensive (II).
Ensuite, selon comme ils sont appréhendés, l'un, en l'occurrence le Panafricanisme avait le bénéfice d'une longévité certaine (III), lorsque l'autre, la Négritude encourait quant à elle, une brièveté temporelle en ce qui concerne sa survie (IV).
Enfin, s'ils diffèrent formellement (V), ils se confondent presque fondamentalement (VI).
    1. LA NEGRITUDE, UN MOUVEMENT D'AUTO-DEFENSE SUR LA DEFENSIVE
Pour essayer de comprendre le mouvement de la Négritude, il faut s'intéresser à sa date de naissance et au contexte historique.
Tout commence entre 1924 et 1925, où, le tristement célèbre Adolphe Hitler croupit en prison, suite à son coup d'état manqué qui a pris le nom de Putsch de la Brasserie.
Mais très vite, comme dans le cas de tous les ripoux sous les verrous qui n'acceptent pas d'être dans les fers, le captif s'ennuie. De là, le taulard ou le putschiste en disgrâce (c'est comme vous voulez) entreprend d'écrire son autobiographie. Mais là aussi, l'embastillé perd les pédales et tout se dégrade au niveau de ses pensées car il est complètement azimuté. En effet, les idées du futur Führer se mélangent. Ainsi, passe-t-il de son autobiographie à une confusion totale entre sa personne et l’État, c'est-à-dire, l’État, tel que le prisonnier le conçoit.
On aurait pu rire de ce qu'il convient de qualifier de pétage de câble d'un bagnard en plein délires. Que non ! Les fantasmes du condamné déboucheront sur le racisme, caractérisé par la célébration faite de la race aryenne, cœur du Nazisme. Ainsi est né Mein Kampf (mon Combat).

Alors qu'à sa parution en 1925, le livre Mein Kampf d'Aldolphe Hitler se vendait à peine, dès 1935, il devient un best seller, s'écoulant à plus d'un million d'exemplaires. En 1936, Mein Kampf devient la Bible que l’État allemand offre aux mariés. C'est dire qu'il y avait péril en la demeure car le racisme n'était plus un fait conjoncturel, au contraire, il était devenu structurel, vu que l’État allemand lui-même en était devenu le principal manager, et, en l'espèce, des périls graves et imminents pesaient sur les nations et les peuples en Europe mais aussi à travers le monde, du fait de la popularité de Mein Kampf. Il ne fallait pas attendre, il fallait agir pour réduire les risques de ce Best Seller d'un autre âge : Mein Kampf.

De ce point de vue, peut-on affirmer sans se tromper que le succès inattendu de Mein Kampf est la variable explicative de l'initiative du Martiniquais Aimé Césaire et de ses autres collègues étudiants ? Il est fort probable que ce soit le cas.
En effet, Aimé Césaire n'a-t-il pas dit, puis écrit : - «ma bouche sera la bouche, de ceux qui n'ont point de bouche, et ma voix, la voix de ceux qui s'affaissent au cachot du désespoir" ?

Dans tous les cas, la publication de son journal «L’Étudiant Noir» en 1935 sonne comme une réponse à Mein Kampf. Mieux, «L'Etudiant Noir» correspond bien à une riposte appropriée à Mein Kampf au vu de sa date de publication, mais aussi de l'objet de publication.
Très vite, Aimé Césaire est rejoint par le Guyanais Léon-Gontran Damas qui publie ses premiers poèmes pigmentaires dans «L'Etudiant Noir», ainsi que le Sénégalais Léopold Sédar Senghor.
Du coup, avec le Journal «L'étudiant Noir», la Négritude est née en 1936, c'est-à-dire, la même année, où, Mein Kampf est devenu un Best Seller en Allemagne, lequel fait l'apologie du racisme dans l'exaltation et la célébration de la race aryenne.

Du côté de «l’Étudiant Noir», on célèbre la Négritude, c'est-à-dire, la façon d'être noir, et tout ce qui va avec.
Tout se passe comme si avec ces deux publications, d'une part Mein Kampf, et d'autre part le recueil de poèmes «L'Etudiant Noir», «l’équilibre de la terreur» était établi.

En tout cas, c'est le contexte qui a vu naître la Négritude.
Et voilà pourquoi on peut légitimement penser que ce mouvement était un mouvement d’autodéfense, toujours sur la défensive, dans une période de périls et de menaces graves et imminents sur l'espèce humaine.
Toutes choses égales par ailleurs, là, où, dans son livre, l'aigri et haineux repris de justice allemand crache sa haine des autres races, les poètes de la Négritude, en leur qualité de poètes lyriques, se positionnent en véritables troubadours, qui, dans un amour courtois, contemplent l'Afrique, lui déclarent leur amour mais aussi leur nostalgie, célébrant ses vaillants peuples, la beauté de ses femmes (Nolivé de Sédar Senghor) et de ses hommes, la beauté de sa culture....etc.
Mais, là aussi, le mouvement de la Négritude, conçu initialement, et probablement pour s'opposer au Nazisme connaît lui aussi un glissement : il s'oriente désormais contre la colonialisme.
Et c'est à ce niveau que l'on peut dire que la Négritude est une version romantique du Panafricanisme. En effet, alors que le Panafricanisme lutte contre un système, l'esclavage, puis un autre système, la colonisation, allant jusqu'à prescrire la sédition, la révolte populaire, la Négritude utilise un autre instrument : la conscientisation par la poésie.
Et même si la plume de Aimé Césaire se veut incisive, et qu'elle devient trop contondante contre le colonisateur, Sédar Senghor souffle quant à lui, le chaud et le froid, donnant l'impression de vouloir ménager les susceptibilités. . C'est ainsi que la poésie négritudienne, tout en étant une poésie de combat oscillait entre dureté et douceur, si ce n'est entre rigueur et tendresse.
Il se trouve que de telles douceur et tendresse des poètes négritudiens n'étaient pas du goût des écrivains Panafricanistes anglophones. En effet, entre le pragmatisme anglais représenté par les écrivains africains anglophones via le Panafricanisme, et l'idéalisme conceptuel français incarné par les auteurs négritudiens, l'impatience des uns avait rapidement creusé la fissure qui lui était nécessaire pour s'engouffrer, ce, pour décocher des flèches à l'encontre de «La belle aux bois dormante» qu'est «La Négritude». Et c'est Wole Soyinka qui l'exprime le plus vigoureusement : "A tiger does not shout its tigritude : it pounces" autrement dit : «Le tigre ne crie pas sa tigritude : il bondit sur sa proie», démontrant ainsi que la lutte de libération des opprimés ne pouvait s'encombrer de l'inaction, ni même de la contemplation.

II) LE PANAFRICANISME, UN MOUVEMENT SUR L'OFFENSIVE

Contrairement à la Négritude, née sans doute d'abord, pour contrer la doctrine raciste qu'est le Nazisme, et qui a fini par devenir un instrument de contestation de la colonisation, le Panafricanisme est un mouvement contestataire d'un système, celui de l'esclavage, puis, d'un autre système, la colonisation.
En clair, le Panafricanisme entend s'appuyer sur la revalorisation des peuples noirs et de leurs cultures longtemps malmenés d'une part, par l'esclavage, et d'autre part, par la colonisation.
Étant donné que le Panafricanisme voulait ressusciter l'âme des peuples noirs engloutie dans les méandres de l'esclavage, mais aussi de la colonisation, il a fini par devenir un instrument de lutte, un instrument sacré, et carrément «une idole», voire une divinité protectrice des peuples noirs.
Voilà pourquoi le Panafricanisme est devenu le vrai Mythe Fondateur des Peuples Africains de Civilisations Nubiennes. Or, il est de notoriété qu'un Mythe Fondateur de peuples ne se conçoit pas dans l'inaction et dans la seule contemplation. Au contraire, le Mythe Fondateur des peuples veut insuffler une orientation et conduire des actions ; et cela consiste en des actions quotidiennes par lesquelles l'identité des peuples concernés est perceptible, parce que déployée. Voilà qui fait du Panafricanisme, un mouvement actif, sur l'offensive, là, où, la poésie contemplative véhiculée par la Négritude semblait donner dans la passivité.

III) LE PANAFRICANISME ASSURE D'UNE LONGEVITE CERTAINE

De par son préfixe "Pana" (tout), le Panafricanisme entendu au sens large en tant qu'il brasse des peuples divers et des cultures diverses ouvre sur des perspectives beaucoup plus vastes parce que inclusif, ce qui l'inscrit dans la pérennité. Le Panafricanisme au sens large n'est pas une couleur de peau. Il concerne tout ce qui est africain dans la compréhension la plus large possible. On comprend que le Panafricanisme résiste encore aux effets du temps et qu'au 21ème siècle, il demeure le principal mouvement dans lequel se reconnaissent les Africains de tout bord.

IV) LA NEGRITUDE LIMITEE DANS LE TEMPS

Tout d'abord, orienté vers la couleur «Noir», le concept de la Négritude était exclusif. Donc, il était évident que dès le départ, les chances de survie du mouvement de la Négritude étaient vraiment réduites, son espérance de vie très courte.
Ensuite, la Négritude est historiquement contextuée, née pour s'opposer au Nazisme d'abord, puis enfin pour lutter contre le colonialisme. Les deux fléaux ayant disparu, le projet négritudien prenait sans doute fin, lui aussi. Dès lors, on comprend qu'au 21ème siècle, et, à l'échelle planétaire, ce concept de «La Négritude» ne soit pas souvent invoqué par les Peuples Africains de civilisations Ebènes comme devant incarner l'âme des Peuples Africain, ou carrément l'essence de tout ce qui est africain, mais, que prédomine, a contrario, et toujours, le concept de Panafricanisme.


V) DIFFERENCES FORMELLES ENTRE LA NEGRITUDE ET LE PANAFRICANISME

Cette différence formelle saute aux yeux dans la morphologie des deux mots :
  • le néologisme de la négritude tire sa racine du mot «NOIR», couleur de peau majoritaire des Afro-subsahariens.
  • Quant au «Panafricanisme», sa racine vient du mot «AFRIQUE».
Cela veut dire que là, où, la Négritude entend magnifier la couleur de peaux des Afro-subsahariens dans leur majorité, le Panafricanisme entend magnifier l'Afrique tout simplement. Cette différence d'approche assurait au Panafricanisme, une longévité certaine, là où, La Négritude, préoccupée par la couleur de peau bornait, voire balisait dans le temps et dans l'espace, ses probabilités de survie.

VII) UN OBJECTIF FONDAMENTAL

Même si les deux mouvements diffèrent dans leur forme, ils ont des affinités fondamentales qui les rapprochent de leur objectif : l'appartenance à un groupe, à un peuple, dont ils entendent faire connaître les valeurs et l'identité communes.
A ce sujet, il serait intéressant de faire parler les pères de la Négritude, d'après un discours de Léopold Sédar Senghor cité «à l'occasion de l'Année francophone internationale en 1997».in Verson, (en ligne).

A la question « qu'est-ce que la Négritude ? »

  • Aimé Césaire répond : «La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture»
  • Quant à Léopold Sédar Senghor, il pense que la définition donnée par Aimé Césaire contient deux sens complémentaires sur le mot et le concept de Négritude, ce qui déboucherait d'après lui, sur un sens objectif et un sens subjectif quant la définition de «La Négritude». Pour lui donc :
  • «Objectivement, la négritude est un fait : une culture. C’est l’ensemble des valeurs – économiques et politiques, intellectuelles et morales artistiques et sociales – non seulement des peuples d’Afrique noire, mais encore des minorités noires d’Amériques, voire d’Asie et d’Océanie. Je parle des peuples d’Afrique noire qui bâtirent les civilisations, élaborèrent les arts qu’historiens, spécialistes de sciences humaines, critiques d’art découvrirent et commencèrent d’exalter au début du siècle. Pour ne pas insister sur les négro-américains, dont les ancêtres venaient d’Afrique, les anthropologues, ethnologues et sociologues ont souvent signalés des affinités de civilisation entre Noirs d’Afrique, noirs d’Asie et Noirs d’Océanie. Les écrivains grecs les avaient déjà signalées, qui appelaient les uns et les autres Ethiopiens, distinguant seulement les " orientaux " (asiatiques) des " occidentaux " (africains). N’est-il pas significatif que l’écriture des premières civilisations indiennes – celles de Mohen-Daro et de Harappa - , qui florissaient 2500 ans avant Jésus-Christ, servît à exprimer des langues dravidiennes : des langues de Noirs ?
  • Subjectivement, la Négritude, c’est " l’acceptation de ce fait " de civilisation et sa projection, en prospective, dans l’histoire à continuer, dans la civilisation nègre à faire renaître et accomplir. C’est en somme la tâche que se sont fixés les militants de la Négritude : assumer les valeurs de civilisation du monde noir, les actualiser et féconder, au besoin avec les apports étrangers, pour les vivre par soi-même et pour soi, mais aussi pour les faire vivre par et pour les Autres, apportant ainsi la contribution des Nègres nouveaux à la Civilisation de l’Universel.
    Il est donc entendu que, dans le présent exposé, le mot Négritude vise le concept dans son acceptation la plus générale, englobant ainsi tous les mouvements culturels lancés par une personnalité noire ou par un groupe de Nègres : aux États-Unis, mouvements de Niagara et de la Negro-Renaissance ; aux Antilles, mouvement de l’École haïtienne ; en Afrique, mouvement anglophone de l’African Personality, aux Antilles et en Afriquemouvement francophone de la " Négritude ". Je mettrai le mot entre guillemets pour désigner ce dernier mouvement. » Léopold Sédar Senghor, In Verson, (en ligne). 
    Qui dit mieux ? Et ce n'est pas tout. 
    En effet, là, où, il n'existe plus aucun doute sur le fait que la Négritude se confond fondamentalement avec le Panafricanisme, c'est lorsque, dans ce même discours datant de 1971 publié en ligne par Verson, Léopold Sédar Senghor évoque la notion du Dialogue Universel. Rappelons qu'au siècle dernier, c'est sous cette appellation que l'on désignait aux nations, la notion de Mondialisation.
     Qui d'entre nous, enfant dans les années 1980, et même avant, au collège, ou au lycée n'a pas appris ces termes de «rendez-vous du Dialogue Universel» ou «Métissage Culturel» ?

Justement, c'est sur ce concept de « Dialogue Universel » que s'exprime Léopold Sédar Senghor dans ce discours mémorable de 1971, et, où, il fait cohabiter fondamentalement la Négritude et le Panafricanisme lorsqu'il dit, je le cite :
«C’est un des nôtres, le philosophe Gaston Berger, un métis né à Saint Louis du Sénégal, à la fin du siècle dernier, qui a fondé la Prospective, cette science qui permet d’étudier l’évolution future du monde pour la prévoir. Celle-ci nous enseigne, essentiellement, que la civilisation du XXIème siècle sera celle de l’universel, à laquelle chaque ethnie, chaque nation, pourra apporter sa contribution. Je dis "pourra", car il n’est pas inéluctable que chacun soit, comme l’écrivait Césaire, "présente au rendez-vous du donner". Seules y seront présentes, contribueront à bâtir la Civilisation de l’Universel et les nations qui croient avoir un message que nulle autre ne possède et qui veulent, consciemment, proférer ce message. C’est ici que la Négritude comme sujet rejoint de la Négritude comme objet. Depuis le début du siècle, en effet, les militants de la Négritude ont commencé de proférer nos valeurs de civilisation, et d’agir dans le sens de leur parole – car tout art est Parole – et d’aider à bâtir une civilisation plus humaine parce que faite de différences nécessaires : des différences complémentaires des ethnies et des nations. » Léopold Sédar Senghor, In Verson, (en ligne).

Après avoir écouté les pères de la Négritude, le doute n'est pas permis : «La Négritude» est vraisemblablement la version romantique du «Panafricanisme», tant les deux mouvements ambitionnent «l'Africanisation du monde» d'une part, et d'autre part, «la mondialisation de l'Afrique». Dit autrement par Aimé Césaire : "le rendez-vous du donner et du recevoir".
Tel est le défis que doit relever l'UPACEB



Yéble Martine-Blanche OGA épouse POUPIN

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire