LA
NEGRITUDE
VERSION
FRANCOPHONE DU PANAFRICANISME ?
SYSTEME
D'AUTODEFENSE ?
On
se souvient qu'au départ, le Panafricanisme venu du monde
anglo-saxon n'a pas pu séduire le monde africain francophone qui, au
lieu de le promouvoir a, au contraire, tout fait pour le réduire.
Cependant, force est de constater que le monde africain francophone
a, lui aussi connu un mouvement, qui, à vue d’œil, s'apparente
au Panafricanisme :
il
s'agit du mouvement de la Négritude.
Avec
le temps qui s'est écoulé depuis l'apparition de ces deux
mouvements (Panafricanisme et Négritude), chacun réalise qu'ils ont
en commun de n'être pas allés plus loin, au-delà, de leur phase
théorique. Et, si antérieurement, nous avons vu les obstacles à la
concrétisation du projet panafricain, on pourrait se demander de ce
qu'il en est de la Négritude.
Mais,
avant d'en arriver là, il est à remarquer que dans l'analyse des
projets respectifs des deux mouvements, dans certains cas, quelques
caractéristiques apparaissent qui les font s'imbriquer, lorsque dans
d'autres cas, d'autres caractéristiques surgissent pour
véritablement les disloquer.
De
ce qui précède, il résulte que, de prime abord, l'on constate que
des deux mouvements, celui de la Négritude reste constamment sur la
défensive (I), alors que le mouvement du Panafricanisme est, dès
sa conception, sur l'offensive (II).
Ensuite,
selon comme ils sont appréhendés, l'un, en l'occurrence le
Panafricanisme avait le bénéfice d'une longévité certaine (III),
lorsque l'autre, la Négritude encourait quant à elle, une brièveté
temporelle en ce qui concerne sa survie (IV).
Enfin,
s'ils diffèrent formellement (V), ils se confondent presque
fondamentalement (VI).
- LA NEGRITUDE, UN MOUVEMENT D'AUTO-DEFENSE SUR LA DEFENSIVE
Pour
essayer de comprendre le mouvement de la Négritude, il faut
s'intéresser à sa date de naissance et au contexte historique.
Tout
commence entre 1924 et 1925, où, le tristement célèbre Adolphe
Hitler croupit en prison, suite à son coup d'état manqué qui a
pris le nom de
Putsch de la Brasserie.
Mais
très vite, comme dans le cas de tous les ripoux sous les verrous qui
n'acceptent pas d'être dans les fers, le captif s'ennuie. De là, le
taulard ou le putschiste en disgrâce (c'est comme vous voulez)
entreprend d'écrire son autobiographie. Mais là aussi, l'embastillé
perd les pédales et tout se dégrade au niveau de ses pensées car
il est complètement azimuté. En effet, les idées du
futur Führer
se
mélangent. Ainsi, passe-t-il de son autobiographie à une confusion
totale entre sa personne et l’État, c'est-à-dire, l’État, tel
que le prisonnier le conçoit.
On
aurait pu rire de ce qu'il convient de qualifier de pétage de câble
d'un bagnard en plein délires. Que non ! Les fantasmes du condamné
déboucheront sur le racisme, caractérisé par la célébration
faite de la race aryenne,
cœur du Nazisme. Ainsi est né Mein
Kampf
(mon Combat).
Alors
qu'à sa parution en 1925, le livre Mein
Kampf d'Aldolphe
Hitler se vendait à peine, dès 1935, il devient un best
seller,
s'écoulant à plus d'un million d'exemplaires. En 1936, Mein
Kampf
devient la Bible que l’État allemand offre aux mariés. C'est dire
qu'il y avait péril en la demeure car le racisme n'était plus un
fait conjoncturel, au contraire, il était devenu structurel, vu que
l’État allemand lui-même en était devenu le principal manager,
et, en l'espèce, des périls graves et imminents pesaient sur les
nations et les peuples en Europe mais aussi à travers le monde, du
fait de la popularité de Mein
Kampf.
Il ne fallait pas attendre, il fallait agir pour réduire les risques
de ce Best
Seller
d'un autre âge : Mein
Kampf.
De
ce point de vue, peut-on affirmer sans se tromper que le succès
inattendu de Mein
Kampf
est la variable explicative de l'initiative du Martiniquais Aimé
Césaire et de ses autres collègues étudiants ? Il est fort
probable que ce soit le cas.
En
effet, Aimé Césaire n'a-t-il pas dit, puis écrit : - «ma
bouche sera la
bouche, de ceux qui n'ont point de bouche,
et ma voix, la voix de ceux qui s'affaissent au cachot du
désespoir" ?
Dans
tous les cas, la publication de son journal «L’Étudiant
Noir»
en 1935 sonne comme une réponse à Mein
Kampf.
Mieux,
«L'Etudiant Noir» correspond
bien à
une
riposte appropriée à Mein
Kampf
au vu de sa date de publication, mais aussi de l'objet de
publication.
Très
vite, Aimé Césaire est rejoint par le Guyanais
Léon-Gontran Damas qui publie ses
premiers poèmes pigmentaires dans «L'Etudiant Noir», ainsi que le
Sénégalais
Léopold
Sédar Senghor.
Du
coup, avec le Journal «L'étudiant
Noir»,
la
Négritude est
née en 1936, c'est-à-dire, la même année, où, Mein
Kampf est
devenu un Best
Seller en
Allemagne, lequel fait l'apologie du racisme dans l'exaltation et la
célébration de la race aryenne.
Du
côté de «l’Étudiant
Noir»,
on célèbre la Négritude, c'est-à-dire, la façon d'être noir, et
tout ce qui va avec.
Tout
se passe comme si avec ces deux publications, d'une part Mein
Kampf, et
d'autre part le recueil de poèmes «L'Etudiant
Noir»,
«l’équilibre de la terreur» était établi.
En
tout cas, c'est le contexte qui a vu naître la Négritude.
Et
voilà pourquoi on peut légitimement penser que ce mouvement était
un mouvement d’autodéfense, toujours sur la défensive, dans une
période de périls et de menaces graves et imminents sur l'espèce
humaine.
Toutes
choses égales par ailleurs, là, où, dans son livre, l'aigri et
haineux repris de justice allemand crache sa haine des autres races,
les poètes de la Négritude, en leur qualité de poètes lyriques,
se positionnent en véritables troubadours, qui, dans un amour
courtois, contemplent l'Afrique, lui déclarent leur amour mais aussi
leur nostalgie, célébrant ses vaillants peuples, la beauté de ses
femmes (Nolivé de Sédar Senghor) et de ses hommes, la beauté de sa
culture....etc.
Mais,
là aussi, le mouvement de la Négritude, conçu initialement, et
probablement pour s'opposer au Nazisme connaît lui aussi un
glissement : il s'oriente désormais contre la colonialisme.
Et
c'est à ce niveau que l'on peut dire que la Négritude est une
version romantique du Panafricanisme. En effet, alors que le
Panafricanisme lutte contre un système, l'esclavage, puis un autre
système, la colonisation, allant jusqu'à prescrire la sédition, la
révolte populaire, la Négritude utilise un autre instrument : la
conscientisation par la poésie.
Et
même si la plume de Aimé Césaire se veut incisive, et qu'elle
devient trop contondante contre le colonisateur, Sédar Senghor souffle
quant à lui, le chaud et le froid, donnant
l'impression de vouloir ménager les susceptibilités. . C'est ainsi que la poésie
négritudienne, tout en étant une poésie de combat oscillait entre
dureté et douceur, si ce n'est entre rigueur et tendresse.
Il
se trouve que de telles douceur et tendresse des poètes négritudiens
n'étaient pas du goût des écrivains Panafricanistes anglophones.
En effet, entre le pragmatisme anglais représenté par les écrivains
africains anglophones via le Panafricanisme, et l'idéalisme
conceptuel français incarné par les auteurs négritudiens,
l'impatience des uns avait rapidement creusé la fissure qui lui
était nécessaire pour s'engouffrer, ce, pour décocher des flèches
à l'encontre de «La belle aux bois dormante» qu'est «La
Négritude».
Et c'est Wole Soyinka qui l'exprime le plus vigoureusement : "A
tiger does not shout its tigritude : it pounces"
autrement
dit :
«Le
tigre ne
crie pas sa tigritude : il bondit sur sa proie»,
démontrant
ainsi que la lutte de libération des opprimés ne pouvait
s'encombrer de l'inaction, ni même de la contemplation.
II)
LE PANAFRICANISME, UN MOUVEMENT SUR L'OFFENSIVE
Contrairement
à la Négritude, née sans doute d'abord, pour contrer la doctrine
raciste qu'est le Nazisme, et qui a fini par devenir un instrument de
contestation de la colonisation, le Panafricanisme est un mouvement
contestataire d'un système, celui de l'esclavage, puis, d'un autre
système, la colonisation.
En
clair, le Panafricanisme entend s'appuyer sur la revalorisation des
peuples noirs et de leurs cultures longtemps malmenés d'une part,
par l'esclavage, et d'autre part, par la colonisation.
Étant
donné que le Panafricanisme voulait ressusciter l'âme des peuples
noirs engloutie dans les méandres de l'esclavage, mais aussi de la
colonisation, il a fini par devenir un instrument de lutte, un
instrument sacré, et carrément «une idole», voire une divinité
protectrice des peuples noirs.
Voilà
pourquoi le Panafricanisme est devenu le vrai Mythe Fondateur des
Peuples Africains de Civilisations Nubiennes. Or, il est de notoriété
qu'un Mythe Fondateur de peuples ne se conçoit pas dans l'inaction
et dans la seule contemplation. Au contraire, le Mythe Fondateur des
peuples veut insuffler une orientation et conduire des actions ;
et cela consiste en des actions quotidiennes par lesquelles
l'identité des peuples concernés est perceptible, parce que
déployée. Voilà qui fait du Panafricanisme, un mouvement actif,
sur l'offensive, là, où, la poésie contemplative véhiculée par
la Négritude semblait donner dans la passivité.
III)
LE PANAFRICANISME ASSURE D'UNE LONGEVITE CERTAINE
De par son préfixe "Pana" (tout), le
Panafricanisme entendu au sens large en tant qu'il brasse des peuples
divers et des cultures diverses ouvre sur des perspectives beaucoup plus
vastes parce que inclusif, ce qui l'inscrit dans la pérennité. Le Panafricanisme au
sens large n'est pas une couleur de peau. Il concerne tout ce qui est
africain dans la compréhension la plus large possible. On comprend
que le Panafricanisme résiste encore aux effets du temps et qu'au
21ème siècle, il demeure le principal mouvement dans lequel se
reconnaissent les Africains de tout bord.
IV)
LA NEGRITUDE LIMITEE DANS LE TEMPS
Tout
d'abord, orienté vers la couleur «Noir», le concept de la Négritude était exclusif. Donc, il était évident que
dès le départ, les chances de survie du mouvement de la Négritude étaient
vraiment réduites, son espérance de vie très courte.
Ensuite,
la Négritude est historiquement contextuée, née pour s'opposer au
Nazisme d'abord, puis enfin pour lutter contre le colonialisme. Les
deux fléaux ayant disparu, le projet négritudien prenait sans doute
fin, lui aussi. Dès lors, on comprend qu'au 21ème siècle, et, à
l'échelle planétaire, ce concept de «La Négritude» ne
soit pas souvent invoqué par les Peuples Africains de civilisations
Ebènes comme devant incarner l'âme des Peuples Africain, ou
carrément l'essence de tout ce qui est africain, mais, que
prédomine, a contrario, et toujours, le concept de
Panafricanisme.
V)
DIFFERENCES FORMELLES ENTRE LA NEGRITUDE ET LE PANAFRICANISME
Cette
différence formelle saute aux yeux dans la morphologie des deux mots
:
- le néologisme de la négritude tire sa racine du mot «NOIR», couleur de peau majoritaire des Afro-subsahariens.
- Quant au «Panafricanisme», sa racine vient du mot «AFRIQUE».
Cela
veut dire que là, où, la Négritude entend magnifier la couleur de
peaux des Afro-subsahariens dans leur majorité, le Panafricanisme
entend magnifier l'Afrique tout simplement. Cette différence
d'approche assurait au Panafricanisme, une longévité certaine, là
où, La Négritude, préoccupée par la couleur de peau
bornait, voire balisait dans le temps et dans l'espace, ses
probabilités de survie.
VII)
UN OBJECTIF FONDAMENTAL
Même
si les deux mouvements diffèrent dans leur forme, ils ont des
affinités fondamentales qui les rapprochent de leur objectif :
l'appartenance à un groupe, à un peuple, dont ils entendent faire
connaître les valeurs et l'identité communes.
A
ce sujet, il serait intéressant de faire parler les pères de la
Négritude, d'après un discours de Léopold
Sédar Senghor cité «à
l'occasion de l'Année francophone internationale en 1997».in
Verson, (en ligne).
A
la question « qu'est-ce
que la Négritude ? »
- Aimé Césaire répond : «La Négritude est la simple reconnaissance du fait d’être noir, et l’acceptation de ce fait, de notre destin de Noir, de notre histoire et de notre culture»
- Quant à Léopold Sédar Senghor, il pense que la définition donnée par Aimé Césaire contient deux sens complémentaires sur le mot et le concept de Négritude, ce qui déboucherait d'après lui, sur un sens objectif et un sens subjectif quant la définition de «La Négritude». Pour lui donc :
- «Objectivement, la négritude est un fait : une culture. C’est l’ensemble des valeurs – économiques et politiques, intellectuelles et morales artistiques et sociales – non seulement des peuples d’Afrique noire, mais encore des minorités noires d’Amériques, voire d’Asie et d’Océanie. Je parle des peuples d’Afrique noire qui bâtirent les civilisations, élaborèrent les arts qu’historiens, spécialistes de sciences humaines, critiques d’art découvrirent et commencèrent d’exalter au début du siècle. Pour ne pas insister sur les négro-américains, dont les ancêtres venaient d’Afrique, les anthropologues, ethnologues et sociologues ont souvent signalés des affinités de civilisation entre Noirs d’Afrique, noirs d’Asie et Noirs d’Océanie. Les écrivains grecs les avaient déjà signalées, qui appelaient les uns et les autres Ethiopiens, distinguant seulement les " orientaux " (asiatiques) des " occidentaux " (africains). N’est-il pas significatif que l’écriture des premières civilisations indiennes – celles de Mohen-Daro et de Harappa - , qui florissaient 2500 ans avant Jésus-Christ, servît à exprimer des langues dravidiennes : des langues de Noirs ?
- Subjectivement, la Négritude, c’est " l’acceptation de ce fait " de civilisation et sa projection, en prospective, dans l’histoire à continuer, dans la civilisation nègre à faire renaître et accomplir. C’est en somme la tâche que se sont fixés les militants de la Négritude : assumer les valeurs de civilisation du monde noir, les actualiser et féconder, au besoin avec les apports étrangers, pour les vivre par soi-même et pour soi, mais aussi pour les faire vivre par et pour les Autres, apportant ainsi la contribution des Nègres nouveaux à la Civilisation de l’Universel.Il est donc entendu que, dans le présent exposé, le mot Négritude vise le concept dans son acceptation la plus générale, englobant ainsi tous les mouvements culturels lancés par une personnalité noire ou par un groupe de Nègres : aux États-Unis, mouvements de Niagara et de la Negro-Renaissance ; aux Antilles, mouvement de l’École haïtienne ; en Afrique, mouvement anglophone de l’African Personality, aux Antilles et en Afrique, mouvement francophone de la " Négritude ". Je mettrai le mot entre guillemets pour désigner ce dernier mouvement. » Léopold Sédar Senghor, In Verson, (en ligne).
Qui
dit mieux ? Et ce n'est pas tout.
En effet, là,
où, il n'existe plus aucun doute sur le fait que la Négritude se
confond fondamentalement avec le Panafricanisme, c'est lorsque, dans
ce même discours datant de 1971 publié en ligne par Verson,
Léopold Sédar Senghor évoque la notion du Dialogue Universel.
Rappelons qu'au siècle dernier, c'est sous cette appellation que l'on désignait aux nations, la notion de Mondialisation.
Qui d'entre nous,
enfant dans les années 1980, et même avant, au collège, ou au
lycée n'a pas appris ces termes de «rendez-vous du Dialogue
Universel» ou «Métissage Culturel» ?
Justement,
c'est sur ce concept de « Dialogue Universel » que
s'exprime Léopold Sédar Senghor dans ce discours mémorable de
1971, et, où, il fait cohabiter fondamentalement la Négritude et le
Panafricanisme lorsqu'il dit, je le cite :
«C’est
un des nôtres, le philosophe Gaston Berger, un métis né à Saint
Louis du Sénégal, à la fin du siècle dernier, qui a fondé
la Prospective,
cette science qui permet d’étudier l’évolution future du monde
pour la prévoir. Celle-ci nous enseigne, essentiellement, que la
civilisation du XXIème siècle sera celle de l’universel, à
laquelle chaque ethnie, chaque nation, pourra apporter sa
contribution. Je dis "pourra", car il n’est pas
inéluctable que chacun soit, comme l’écrivait Césaire, "présente
au rendez-vous du donner". Seules y seront présentes,
contribueront à bâtir la Civilisation
de l’Universel et
les nations qui croient avoir un message que nulle autre ne possède
et qui veulent, consciemment, proférer ce message. C’est ici que
la Négritude comme sujet rejoint de la Négritude comme objet.
Depuis le début du siècle, en effet, les militants de la Négritude
ont commencé de proférer nos valeurs de civilisation, et d’agir
dans le sens de leur parole – car tout art est Parole – et
d’aider à bâtir une civilisation plus humaine parce que faite de
différences nécessaires : des différences complémentaires
des ethnies et des nations. »
Léopold
Sédar Senghor, In Verson, (en ligne).
Après
avoir écouté les pères de la Négritude, le doute n'est pas permis
: «La
Négritude»
est vraisemblablement la version romantique du «Panafricanisme»,
tant les deux mouvements ambitionnent
«l'Africanisation du monde» d'une
part, et d'autre part,
«la mondialisation de l'Afrique». Dit autrement par Aimé Césaire : "le rendez-vous du donner et du recevoir".
Tel est le défis que doit relever l'UPACEB
Tel est le défis que doit relever l'UPACEB
Yéble
Martine-Blanche OGA épouse POUPIN
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